A l'écran, le compte à rebours indique: - 00 00 40 12. Ce mercredi 23 septembre à 7h40, dans la salle polyvalente de l'EPFL, une foule attend avec impatience le lancement de la fusée PSLV C-14. Celle-ci doit décoller dans un peu moins de trois-quarts d'heure de la base spatiale de Sriharikota (est de l'Inde), à 8000 kilomètres de Lausanne.
Au 4e étage de ce monstre de 44 mètres de haut, pesant 230 tonnes, se trouve le minuscule Swisscube (voir photo), le premier satellite entièrement conçu et réalisé en Suisse. Cet objet de 820 grammes, mesurant 10x10x10 cm, a été fabriqué par plus de deux cent étudiants et chercheurs, travaillant dans huit hautes écoles différentes.
Trois ans et demi de travail intense, pour vivre ce moment.
Le projet est né en 2005 à l'EPFL. Le professeur Herbert Shea et le Space Center s'intéressent aux minuscules CubeSat, qui se répandent depuis la fin des années 90. Un standard (1 kilo maximum, 10x10x10 cm, pas de dispositif pyrotechnique ni d'électronique pendant le décollage), né à Stanford, se répand. Aujourd'hui, plus de 40 de ces objets ont été lancés, avec des succès divers.
Ces engins constituent surtout de formidables outils pédagogiques. Fabriquer entièrement un satellite, en observant les très strictes procédures imposées par les lanceurs, est un défi pour des étudiants.
Maurice Borgeaud, directeur du Space Center de l'EPFL, rappelle quelques faits. Swisscube, dont la mission devrait durer de 3 à 6 mois (mais peut-être tiendra-t-il un an!), volera à 720 kilomètres d'altitude, à 28 000 kilomètres/heure. Il fait le tour du globe en 99 minutes. Sa puissance d'émission n'est que de 1,5 Watt. Il fonctionne à l'énergie solaire, chaque face du cube étant garni de cellules photovoltaïques. Pour parler de sous: le projet a coûté 530 000 francs, dont 110 000 rien que pour le lancement.
Alors que le compte à rebours affiche - 00 00 28 13, la cheffe de projet Muriel Noca indique que plusieurs versions du satellite ont été testées. Il doit répondre à des normes strictes en matière de résistance aux contraintes thermiques, aux radiations et aux vibrations subies lors du lancement.
Autre contrainte: s'adapter au calendrier académique. En effet, les étudiants ont souvent travaillé sur Swisscube dans le cadre de leurs projets de masters, et sur des aspects très différents. Ce qui a exigé un intense travail de coordination. Outre l'EPFL, l'école d'ingénieurs et d'architectes de Fribourg, la Haute école ARC, la Haute école d'ingénierie et de gestion du canton de Vaud, l'université de Neuchâtel, l'université de Berne et la Fachhochschule Nordwestschweiz! Là-dessus, l'industrie spatiale suisse (Ruag) et l'ESA ont effectué des revues régulières, afin d'assurer la réussite du projet!
A quoi va-t-il servir?
A observer l'airglow (photo), un phénomène qui se déroule à environ 100 km d'altitude (voir photo). Cette lumière verte "est due à la recombinaisons d'atomes d'oxygène", explique Muriel Noca. Pendant le jour, les rayons du soleil cassent les liaisons existantes entre les duos d'atomes d'oxygène (O2). Pendant la nuit, ces derniers se recollent entre eux. A ce moment, des photons sont émis, entre le vert et l'infrarouge proche (550 à 767 nm).
Swisscube est équipé d'un petit télescope (de 5 cm) qui va prendre des images de ce phénomène. "Il va compter les photons qui proviennent de la recombinaison", explique Muriel Noca. Une information ensuite transmise à la Terre. Deux stations de base, l'une à Fribourg, l'autre à l'EPFL, devraient capter et traiter les signaux émis. L'airglow est un phénomène étudié depuis le sol, mais très peu depuis l'espace, ce qui motive l'intérêt scientifique du projet.
A l'écran, les images du centre spatial indien sont retransmises par IBN (CNN). L'Inde est devenue une puissance spatiale: presque tous les lancements de la PSLV ont été réussis. La fusée rouge et blanche ne transporte évidemment pas seulement l'engin helvétique. Il porte surtout OceanSat2 (970 kilos) et 3 autres CubeSat (deux allemands et un turc).
A 8h21, le décollage a enfin lieu, avec le fameux compte à rebours "three... two... one". Rapidement, le lanceur disparaît dans le ciel. Recevant les informations directement d'Inde, Muriel Noca explique que tout se passe bien, que les étages de la fusée se séparent correctement. L'émotion est grande à l'EPFL! A 8h27, l'engin vole à 2,7 kilomètres par seconde. A 8h37, le dernier étage se détache, 6,4 km/s. A 8h40 enfin, les nanosatellites sont éjectés les uns après les autres. Swisscube sort en dernier à 8h42: c'est fait, la Suisse a son satellite. La vingtaine de membres de l'équipe présents, vêtus de pulls rouges, expriment leur joie.
Quelques images prise dans la salle après le lancement
Guillaume Roethlisberger, jeune ingénieur qui a travaillé sur le projet pendant trois ans, est soulagé. Pendant le lancement, on ne contrôle rien, rappelle-t-il.
En attendant de recevoir les premiers signaux en provenance du satellite, une visite de laboratoires est organisée. L'occasion de voir des lieux méconnus de l'EPFL, comme l'atelier où la structure du satellite a été réalisée. A partir d'un cube d'aluminium de haute qualité pesant 4,8 kilos, une machine de 18 tonnes a produit un cadre de ... 93 grammes! Des pièces en titane ont également été usinées sur place.
La structure de Swisscube, en alu
A 9h38, surprise: le signal d'identification du satellite, en morse, a été capté par Cal Poly, en Californie! Ecoutez le mp3. On attendait des nouvelles plus tard, depuis l'Afrique du Sud. L'engin n'avait pas encore fait une fois le tour de la Terre: pendant que nous parcourions les laboratoires (et les couloirs sans fin du Poly), il survolait l'Antarctique, puis le Pacifique.
Antenne pour communiquer avec le satellite (réception-émission)
Lors de la conférence de presse qui a suivi, Adrienne Corboud Fumagalli, vice-présidente de l'EPFL pour l'innovation et la valorisation, rappelle que l'industrie spatiale suisse affiche un chiffre d'affaires de 250 à 350 millions de francs par an. Que Swisscube possède une forte portée symbolique, vis à vis de l'ESA.
Juan Mosig, président du comité de pilotage du Space Center de l'EPFL, se réjouit de voir dans la salle "ces étudiants qui sont les ingénieurs du spatial suisse de demain."
Daniel Neuenschwander, directeur du Swiss Space Office, rappelle que la Suisse figure parmi les membres fondateurs de l'ESA (1975) et que notre pays vise un rôle de premier plan dans le domaine spatial.
Marie-Thérèse Ivora, directrice de Ruag Aerospace site de Nyon, envie les jeunes qui ont participé à l'aventure Swisscube. "Nous avons ici des étudiants possédant une formation idéale pour nous, une formation qui n'existait pas avant. Nous allons engager du monde".
Jean-Luc Moner-Banet, directeur de la Loterie Romande et sponsor, explique que c'est lors du Forum des 100 2008, organisé par L'Hebdo, qu'il a assisté à une conférence sur Swisscube donnée par Muriel Noca. Le projet cherchait du financement... qu'il a trouvé suite à leur rencontre. Aujourd'hui, le logo de la LoRo figure sur le satellite, ce qui a fait dire à Jean-Luc Moner-Banet qu'elle était la première loterie dans l'espace.
Pour l'avenir? Placer la Suisse dans un marché de niche, les satellites de 10 à 20 kg de charge utile. Des engins plus puissants que Swisscube. Travailler avec la World Meteorological Organization (WMO), basée à Genève, sur les changements climatiques.
Aujourd'hui, dans le monde, plus de 40 CubeSat sont en préparation. L'aventure spatiale continue.
PS: pour le suivi de la vie quotidienne de Swisscube, au-dessus de nos têtes, c'est ici: http://swisscube.epfl.ch/
MàJ 23.9.2009 - 16h19
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