Les radicaux espèrent tenir leur pierre philosophale: pour faire d’un petit étranger un étranger bien intégré, ils songent à imposer l’uniforme à l’école. Du flan?, hésite Sabine Pirolt. Un article paru dans L'Hebdo du 17 août 2006.
Le week-end des 18 et 19 août, à Morat, les radicaux parleront chiffons lors de leur assemblée trimestrielle. Pas des dernières collections automne-hiver, mais de la mode à l’école, ou, plus précisément, de l’uniforme scolaire. «Approuvez-vous le port de l’uniforme dans les écoles publiques?» est l’une des dix questions auxquelles devront répondre les quelque deux cents délégués attendus. Les discussions tourneront en effet autour du catalogue de propositions élaboré par un groupe de travail nommé «Suisse de l’ouverture», portant sur l’intégration des étrangers. Chez les radicaux, on attend beaucoup d’une telle idée: «Par cet uniforme scolaire, on raffermit le lien qui relie les élèves à leur école et leur sentiment commun d’appartenance à une communauté», souligne le texte qui sera soumis à d’éventuelles modifications, puis à l’approbation des délégués.
Faire de l’uniforme à l’école l’enjeu d’une politique partisane a l’art d’énerver Christian Griss, directeur de la Weiterbildungschule de Bâle, un établissement préprofessionnel qui accueille quelque deux mille élèves. «Je trouve regrettable que le Parti radical polarise le débat avec cette proposition. Les répercussions ne sont que négatives. D’autres partis se mettent à critiquer l’uniforme. Il ne faut pas que son port devienne une question idéologique!»
Neuf cents francs par élève Le directeur bâlois sait de quoi il parle: deux classes d’élèves de son établissement, soit une quarantaine de filles et garçons âgés de 14 à 16 ans, porteront l’uniforme à la rentrée scolaire d’automne. Le projet a été accueilli avec enthousiasme par tous les élèves. Les jeunes ont pu donner leur avis sur les projets de trois stylistes: «Les élèves disent que les habits qu’ils ont choisis sont très sexy. Mais si tout le monde était en uniforme, je ne suis pas sûr qu’ils trouveraient l’uniforme encore très sexy...», remarque Christian Griss. Aux dernières nouvelles, le jour J approchant, les élèves redoutent «de ne pas avoir l’air si cool que ça». «Ils se demandent s’ils n’auraient pas dû donner leur préférence à la couleur noire», cafte l’un de leurs professeurs.
Trop tard! Les dés sont jetés et la production a commencé, en Asie, pour baisser les coûts. L’essai – une première suisse – durera au moins six mois, jusqu’aux vacances d’été 2007, peut-être davantage. A noter que les parents sont eux aussi enchantés, puisque chacun de leur rejeton recevra des habits estimés à quelque 900 francs, au frais de l’Etat. Certains parents étaient même prêts à payer 150 francs pour participer à l’expérience. Lors de la réunion des parents, une mère a expliqué que l’uniforme sera un soulagement: chaque matin, sa fille passe une demi-heure devant son armoire à se demander ce qu’elle va mettre.
Professeur d’histoire et d’allemand dans les deux classes, Christoph Frenck a tout de suite accepté de participer à l’expérience. «C’est l’occasion pour les élèves d’apprendre le dress code». Selon lui, certains jeunes s’habillent comme s’ils allaient à la plage lorsqu’ils vont se présenter pour une place de stage dans une banque ou une administration. «Et certaines filles y vont à moitié nue, le ventre à l’air et en “hot pants”», raconte Christoph Frenck. Aux yeux du professeur, l’uniforme permettra d’enseigner aux jeunes à s’habiller de façon adéquate lors de certaines occasions.
Pourtant, cela ne fait toujours pas de l’uniforme la pierre philosophale dont rêvent les radicaux pour transformer leurs années de plomb en or électoral, et encore moins un outil d’intégration. Thomas Kessler, le délégué à l’Intégration des cantons de Bâle et membre du Parti écologiste qui s’était fait une solide renommée au niveau national en introduisant les premiers cours de langue obligatoires pour les étrangers, qualifie ce projet d’anecdotique. D’autant qu’à ses yeux ce sont souvent les étrangers qui donnent le ton en matière vestimentaire et qui ont les habits les plus chers («premier symbole du statut social»). Autant dire que la représentation du pauvre petit étranger habillé chez Caritas est totalement dépassée.
C’est aussi ce que constate Patricia, une enseignante biennoise, qui se demande quand on uniformisera le casse-croûte des dix heures de tous les élèves dans un esprit égalitaire. «L’école est déjà un cocon, tout est fait pour que tout se passe bien. Et à la sortie de l’école, dans la vraie vie, les jeunes sont largués. Est-ce que le port de l’uniforme va vraiment les aider à se forger une personnalité?» Peut-être que non, mais au moins à améliorer leurs résultats scolaires. C’est du moins ce qu’indique une étude menée voici deux ans par le professeur Oliver Dickhäuser et son équipe de l’Université allemande de Giessen.
Les habits font l’école L’étude intitulée «Kleider machen Schule» («Les habits font l’école») est basée sur une expérience menée dans quatre classes, soit 171 élèves âgés de 10 à 15 ans. Elle montre que le port de l’uniforme favorise le climat social de la classe, même si celui-ci est, comme dans la population examinée, réduit à un simple T-shirt de la même couleur et des pantalons semblables. De plus, les élèves en uniforme faisaient preuve d’une plus grande concentration et éprouvaient un plus fort sentiment de sécurité comparativement aux élèves de classes parallèles, qui n’en portaient pas. L’équipe de psychologues remarque encore que l’expérience doit être menée à long terme pour avoir des effets positifs (les élèves ont porté ces habits durant trois ans). Alors? Les radicaux n’auraient-ils pas mieux fait de réserver leur idée d’uniforme pour leur groupe de travail «La Suisse de l’intelligence»?
Pour s’en assurer, rien ne vaut un détour par le pays de l’uniforme scolaire, l’Angleterre, pour conseiller les radicaux. Après être tombé en disgrâce dès les années 70, l’uniforme y est plus que jamais à la mode depuis cinq ans; quelque 80% des établissements publiques l’imposent pour améliorer leur image par rapport au privé. Du coup, les grandes chaînes de magasins vendent depuis cette année les pièces basiques comme les pantalons ou les T-shirts à des prix défiant toute concurrence.
Et que pensent les Anglais de la proposition du Parti radical suisse? Secrétaire général de l’Association des écoles et collèges de l’Etat, John Dunford est catégorique: «A n’en pas douter, l’uniforme est l’une des formes qui permet aux étrangers de s’intégrer, créant un sentiment d’appartenance et d’égalité. Il réduit les différences entre ceux qui peuvent se payer des habits de marque et les autres.» Ouf! Les radicaux sont sauvés.
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