A la suite des excellents résultats affichés par la Finlande dans les tests de connaissance PISA 2000 et 2003, orchestrés par l’OCDE, le pays a reçu la visite de plus de mille délégations. Pierre Jaccard, adjoint à la Direction générale de l’enseignement obligatoire du canton de Vaud, faisait partie de l’une d’elles. Il raconte cette expérience non sans formuler une remarque préalable: «Je peux comprendre l’agacement de certains devant le recours peut-être trop fréquent au modèle finlandais… mais ce modèle reste très intéressant pour nous».
Pourquoi ce modèle fascine-t-il autant?
La Finlande est l’exemple d’un pays qui depuis près de cinquante ans s’est donné des objectifs ambitieux dans le domaine de l’éducation et a développé une stratégie pour les atteindre. Elle s’est centrée beaucoup plus vite que les autres sur les résultats générés par son système éducatif plutôt que sur d’autres éléments qui font débat ici. La première loi qui a marqué le tournant au plan de l’éducation date de 1963. Ce qui est caractéristique de l’approche des Finlandais, c’est que vingt ans après son entrée en vigueur, le Parlement a élaboré une nouvelle loi sur la base d’études qui démontraient que les objectifs visés n’avaient été que trop partiellement atteints. Cette nouvelle loi radicalisait plus encore les objectifs de la loi de 1963: elle visait à promouvoir une société équitable avec un haut niveau de performance économique. En 2004, un nouveau curriculum national a été adopté, encore plus contraignant pour les établissements sur les objectifs à atteindre.
Comment expliquer une attitude aussi volontariste?
Dès 1989, à la suite de l’écroulement de l’Union soviétique, la Finlande se trouve dans un moment de très grande déstabilisation économique et sociale. Suite à la disparition de ce grand voisin tutélaire, se pose la question de la survie de la nation au plan économique. Les réponses apportées ont été principalement dans le champ de l’éducation. Les questions économiques étaient certes centrales, mais les Finlandais ont réfléchi à ce moment-là aux questions éducation en termes extrêmement volontaristes. Et ils se sont trouvés confirmés dans leurs objectifs et les résultats atteints par les données de PISA en 2000, puis en 2003. C’est dans ce sens que la Finlande est un pays intéressant: on peut y constater les effets sur le long terme d’une politique de formation volontariste, politique que peu de pays ont développée jusque-là .
C’est-à -dire…
Pour la Finlande, la qualité du système éducatif est un facteur qui explique le succès de cette société, mais ce n’est pas un facteur unique. Il y a une longue tradition autour des questions de formation, un intérêt réel depuis longtemps de toute la société pour les questions liées à l’apprentissage et à la lecture. Par exemple, au XIXe siècle, les pasteurs ne pouvaient bénir un mariage que lorsqu’un examen avait prouvé que les futurs époux disposaient d’une bonne capacité à lire.
On a beaucoup dit en Suisse, pour se consoler, que les classes finlandaises étaient meilleures parce qu’elles ne comptaient pas d’étrangers. Qu’en est-il?
Il faut être prudent avec les indicateurs, et en particulier en ce qui concerne les étrangers présents ou non dans les classes. Il y a apparemment peu d’étrangers dans les statistiques, mais cela ne signifie pas qu’il y a peu d’enfants nés à l’étranger ou d’enfants nés de parents d’origine étrangère. Les lois d’immigration en Finlande sont strictes: dans un certain délai, vous êtes naturalisés ou, à défaut, vous quittez le pays. Ainsi sont déclarés Finlandais des gens qui sont nés sur d’autres continents, notamment en Afrique. De plus, les Finlandais ont de longue date l’habitude de travailler avec des élèves allophones, puisque le pays s’est constitué autour de deux cultures différentes: la «finno-ongrienne» et la suédoise. Ils ont aussi comme caractéristique d’être assez différents de leurs voisins immédiats: la langue majoritaire est une langue propre, pratiquée de fait dans aucun autre pays, ce qui l’oblige à être ouvert aux cultures étrangères. Les jeunes acquièrent d’abord une deuxième langue nationale puis une troisième, voire une quatrième et une cinquième. Vingt pour cent des élèves qui quittent l’école obligatoire ont acquis une maîtrise relative de cinq langues!
Ils apprennent donc le finnois, le suédois, l’anglais et…
L’allemand et le français. Ceux qui maîtrisent le moins de langues à la fin de l’école obligatoire en maîtrisent trois, et semble-t-il plutôt bien.
Comment s’y prend-t-on avec les immigrés?
Lorsque un enfant immigré arrive, l’objectif est de lui permettre de poursuivre immédiatement le développement de ses capacités, sans rupture. L’enseignement continue donc pour lui dans sa langue d’origine, afin d’éviter que le passage à une nouvelle langue marque un temps d’arrêt dans sa formation. Pour cette raison, dans l’agglomération d’Helsinki, on enseigne actuellement dans 38 langues différentes.
Cela paraît trop beau pour y croire…
Lors de mon voyage en Finlande, j’ai notamment visité un établissement scolaire qui comptait plus de 50 % d’élèves étrangers, la plupart d’origine africaine ou asiatique. Un des visiteurs a demandé «Comment le problème des élèves étrangers a-t-il été géré?» Le directeur de l’établissement lui a répondu en s’offusquant: «Ça n’était pas un problème, mais une fantastique occasion d’apprendre pour nous, direction et enseignants, des choses nouvelles pour des élèves qui avaient des besoins que nous ne connaissions pas.» Cette anecdote illustre bien l’état d’esprit de cette société qui se considère comme une «société en apprentissage» (en anglais «learning society»).
Comment l’école obligatoire finlandaise est-elle structurée?
La première loi de 1965 établissait au secondaire un tronc commun avec des niveaux, structure imposée à tous les établissements. L’objectif d’équité n’ayant pas été atteint quinze ans plus tard, les regroupements par niveau ont été interdits par la loi. Une solution très radicale: l’hétérogénéité des classes est absolue jusqu’à l’âge de 15 ans. Seul 1% des élèves sont placés dans des structures spécialisées, la plupart intégrées dans les établissements.
On dit aussi qu’il n’y a pas d’enseignants à temps partiel…
Tous travaillent à plein temps, sauf pour raisons médicales. Cela tient à la nécessité du travail collectif au sein des établissements qui requiert la présence de tous les enseignants sur la durée de la semaine, notamment pour la coordination au sein de l’équipe. Les enseignants assurent leurs cours, mais passent aussi un certain temps à décliner le programme national en programme d’établissement. Les réflexions sur la manière d’aborder telle ou telle discipline, telle ou telle notion sont collectives. Un exemple: dans un établissement, les enseignants ont constaté que les élèves peinaient à comprendre la notion de proportionnalité en mathématiques. Les maîtres ont décidé de l’aborder de manière très pratique par le biais des cours de cuisine en 7e année. Les objectifs déterminés en commun sont contraignants pour l’équipe professorale, les enjeux de ces séances sont donc très importants.
Comment les enseignants sont-ils formés?
Les enseignants suivent une formation de cinq ans, à l’université, dont deux ans de pédagogie au minimum. Ils sont recrutés sur concours. Ces concours intéressent beaucoup de jeunes: il y a environ dix fois plus de candidats que de places de formation.
Quels sont les outils d’évaluation ?
Un très faible accent est mis sur l’évaluation individuelle des élèves. Les enseignants passent peu de temps à les évaluer. D’ailleurs, ils n’ont l’obligation de le faire formellement qu’en cas de doute pour certains élèves. Il ne s’agit de fait jamais de déterminer si l’élève passe ou non dans la classe supérieure.
Tous les élèves passent donc leur année…
Oui, l’école finlandaise ne pratique pas le redoublement. Chaque fois que des difficultés sont diagnostiquées chez un élève, les enseignants proposent des mesures pour y remédier. Ces mesures sont le plus souvent massives et énergiques, mais toujours de courte durée. Au niveau national, 10% des établissements font l’objet, chaque année, d’une évaluation comparative. Chaque établissement reçoit ses résultats (qui ne sont pas publics). Il peut ainsi se situer par rapport aux autres. Les établissements peuvent participer à cette évaluation à titre volontaire (et payant), pour voir si les mesures de correction décidées dans un domaine ont été efficaces. En moyenne, tous les six à huit ans, chaque école est évaluée par la Direction générale de l’enseignement. Il faut souligner qu’il n’y pas de lien entre performance et financement des établissements.
Par rapport aux débats suisses, quels sont les autres éléments intéressants ?
Le système se veut bienveillant tout au long du parcours de l’élève. Mais, après l’école secondaire, les élèves entrent dans les grandes écoles sur concours. Ils le savent dès le départ, ils en sont très conscients et c’est ce qui les motive. Alors que notre système est fondé sur des échéances à court terme et donne un accès presque automatique aux universités aux porteurs de maturité, les jeunes Finlandais savent que la suite de leur formation dépend de leur réussite à ces concours. Au besoin, on ne se prive pas de le leur rappeler.
Y a-t-il un autre élément pertinent ?
L’école finlandaise est gérée au niveau national et au niveau des municipalités. Mais il faut relever que le pays compte 432 municipalités pour 5,5 millions d’habitants: c’est presque le nombre vaudois de communes pour une population 9 fois plus grande.
Cela signifie qu’un cadre national clair n’exclut pas une gestion de proximité…
Exactement. Ce pays nous donne des pistes sur la manière de faire évoluer nos systèmes éducatifs dans une société qui entre dans l’ère de la connaissance. La Finlande a beaucoup réfléchi au passage d’une société rurale, comme la Finlande l’était en 1960, à une société industrielle ou post-industrielle. Ces réflexions se poursuivent maintenant pour le passage vers une société de la connaissance et ont renforcé l’objectif global, qu’ils poursuivent maintenant depuis plus de quarante ans, qui est de viser tant la performance que l’équité.
Ces objectifs sont-ils un enjeu politique entre la gauche et la droite?
Non, il y a un très fort consensus, une très forte coalition autour de l’école. Seule l’extrême droite nationaliste essaie de rassembler ceux qui semblent mal vivre ces changements, sans beaucoup de succès. Le débat politique existe, mais il ne conduit pas à des changements de cap important. On constate une grande stabilité du système dans les objectifs qu’il poursuit depuis plus de quarante ans, bien qu’il y ait eu plusieurs changements avec des gouvernements de tendances politiques diverses. Il existe surtout une forte relation de confiance entre l’école et son environnement, qu’il soit politique, social ou économique. Cette confiance est tout à fait palpable pour le visiteur. Elle constitue une véritable ressource pour le système éducatif, une ressource non matérielle, essentielle à mon avis pour expliquer le succès de l’école finlandaise.
Propos recueillis par Chantal Tauxe
Il est intéressant de constater que ceux qui veulent réformer l’école dans le canton de Vaud en invoquant l’équité ne demandent pas qu’il y ait de concours pour entrer dans les grandes écoles ainsi que cela se fait en Finlande. M. Jaccard semble dire que c’est cette exigence qui produit de la motivation pour toute la scolarité en Finlande et que c’est bien par rapport à un examen clair et exigeant pour lequel il faut bien travailler que les élèves conçoivent leur travail. Dès lors, il est possible en effet, peut-être, de faire moins d’évaluations au primaire et au secondaire (I et II). On peut de même peut-être éviter les filières. Mais cela n’est pas du tout le cas dans le canton de Vaud. Les réformistes égalitistes (cf. Philippe Muray) veulent certes le collège unique (les classes hétérogènes) et veulent, autre caractéristique, diminuer l’importance des notes (nombre d’évaluations, degrés de l’échelle, exigences des barèmes, moyennes), mais ils ne plaident pas du tout pour l’instauration de concours d’entrée dans les grandes écoles. Au contraire, ce serait une horreur anti-démocratique, une horreur discriminante selon eux puisqu’ils ne peuvent pas concevoir que les gens soient différents du fait de leur nature, de leur mérite et de leur choix. Cela montre bien les dangers de nivellement vers le bas qu’ils veulent instaurer. En classe, ce sera de « bouillie » insipide et bien-pensante que l’on servira aux élèves en ayant remplacé un cours sur Ramuz ou Homère par un blabla banal sur la citoyenneté au XXIe siècle. Ce point suffit à montrer tout l’impensé et tout le manque de rigueur qu’il y a dans la réflexion réformiste vaudoise. Ce sont de bons sentiments, avec lesquels on ne peut pas ne pas être d’accord, mais qui sont souvent très peu réalistes, très peu en phase avec la nature humaine et qui, en ne la reconnaissant pas, la méprise d’une certaine manière. C’est tout le problème de l’irréalité dans laquelle certaines personnes vivent et pensent. Une irréalité que l’on peut aussi appeler une virtualité. Ils remplacent le monde concret et humain par un monde virtuel et bien-pensant. Cela est dangereux.
Dernière chose, on remarquera également que l’argument des concours en Finlande ne concerne que ceux qui s’y présentent. Il ne me semble pas que tous les Finlandais doivent les passer, puisque tous ne vont pas dans les grandes écoles. Alors quid de la motivation de tous les autres Finlandais qui ne vont pas se présenter à ces quasi uniques et tardives évaluations… Et quid également de la difficulté d’affronter un examen quand on n’en a passé aucun durant toute sa scolarité. On constate qu’il y a en effet beaucoup de choses qui ne sont pas analysées dans ces propos.
David Rouzeau (Licencié ès Lettres, Membre du Comité de l'Association Vaudoise pour une Ecole Crédible, AVEC)
Rédigé par : David Rouzeau (Licencié ès Lettres, Membre du Comité de l'Association Vaudoise pour une Ecole Crà | 03 août 2006 à 23h09